La privatisation de l’École Publique est un vieux rêve pour tous ceux qui considèrent l’instruction comme un "marché à conquérir" et donc les élèves et leurs familles comme de futurs clients et "consommateurs de biens culturels".
Quel peut être le poids de l’intérêt général et du Service Public lorsque des milliards d’€ sont ainsi en jeu pour les "premiers de cordée" ?
Depuis la loi Dussopt, dite de "transformation" de la Fonction Publique, chacun assiste à un déferlement de contre-réformes qui toutes convergent vers un seul objectif : aligner l’École Publique sur le fonctionnement de l’école privée sous contrat, modèle assumé pour le gouvernement.
Mais l’École Publique est actuellement beaucoup trop coûteuse pour être rentable, notamment en raison des dépenses de personnels sous statuts.
Objectif n°1 : remplacer les fonctionnaires d’Etat par des contractuels.
Le graphique ci-dessous indique clairement le "retard" pris par l’enseignement public dans la course à la contractualisation-rentabilisation.
Dans le premier degré, cette année, les contractuels représentent 1% des personnels enseignants dans le public (// 0,2% en 2008) alors que l’enseignement privé en embauche 15,6% (// 8,7% en 2008).
Dans le second degré, l’enseignement public embauche 9% de contractuels (// 4,9% en 2008) tandis que l’enseignement privé en a embauché 20,1% cette année (// 14,9% en 2008).
Vous remarquerez également l’ascension fulgurante de la courbe rose des personnels non-titulaires remplissant les missions hors enseignement.
Comment créer rapidement un volant de contractuels pour rattraper ce "retard" dans l’Ecole Publique ?
La réponse à cette question a été apportée par la "réforme Blanquer de la formation et des concours" qui entrera en vigueur dès la rentrée prochaine (A lire ICI).
La formule est très simple :
en guise de "formation", vous embauchez des étudiants-contractuels en Master2 (Bac+5) sur des CDD de dix mois et vous les affectez à tiers-temps sur des classes.
Vous évitez ainsi le recrutement de milliers de profs titulaires.
A la fin de leur formation M2, vous continuez à diminuer le nombres de postes aux concours (CRPE, CAPES, etc) et le tour est joué !
Vous avez créé, en un an, un volant de milliers de candidats échouant aux concours faute de places, malgré leur M2, et qui seront disponibles dès la rentrée 2022 pour faire grimper les courbes de l’enseignement public... et réduire le nombre de fonctionnaires-stagiaires dans tous les corps de l’EN.
Objectif n°2 : aligner l’Ecole Publique sur le fonctionnement autonome des écoles privées sous contrat.
Ces "ressources humaines" de profs contractuels étant constituées, il reste à organiser leur recrutement donc leur sélection. La concurrence étant rude, chacun d’eux tentera d’avoir accès au CDD de quelques mois dans l’école, le collège ou le lycée le moins éloigné de son domicile.
L’autonomie de chaque établissement suppose un directeur capable d’assurer cette sélection puis cette embauche. Rappelons-nous de la mission imposée à des directeurs d’école : organiser des entretiens d’embauche pour sélectionner la "bonne AESH" dans les classes de son école...
Le projet de loi Rilhacintervient ici pour combler une faille de ce plan : le directeur d’école n’est ni un supérieur hiérarchique, ni un fonctionnaire d’autorité.
Mais il faudra bien que quelqu’un supervise l’activité des milliers d’étudiants-contractuels pendant leur CDD en classe, puis les sélectionne et les recrute lorsqu’ils reviendront pour pourvoir la classe restée vacante faute de PE Stagiaires puis de titulaires en nombre suffisant.
Voici, en résumé, le lien permanent entre les multiples contre-réformes, Blanquer, Rilhac ou autre, qui toutes convergent vers cet unique objectif : remplacer les départs en retraite des fonctionnaires d’Etat, que nous sommes encore, par une génération de contractuels formés sur le tas, sans statut national donc sans autres droits qu’un CDD de quelques mois.
L’Italie a appliqué ce même plan au cours des années 2000, allant jusqu’à supprimer certains concours.
Nos collègues italiens pouvaient alors rester contractuels jusqu’à 45 ans ou plus. En 2014, l’enseignement italien étant devenu un champs de ruine, le gouvernement dut rétablir les concours et un statut national pour titulariser des milliers de contractuels... mais une génération d’élèves et d’enseignants avait été sacrifiée.